De l’alerte à la prise décision
La COP26 aura lieu à Glasgow du 31 octobre au 12 novembre 2021. Le temps des alertes sera-t-il enfin remplacé par le temps des décisions ?
L’été aura été marqué par des cataclysmes nombreux et violents sur toute la surface de la Terre.
L’été aura été aussi marqué par les égoïsmes nationaux et individuels; vaccins pour les riches, promesses pour les pauvres; replis identitaires et méfiance envers les gouvernants. Mais le temps des catastrophes se moque bien des revendications de “liberté”, ignore superbement les calculs politiques et se joue des accusations complotistes.
Et pourtant,
Titre du quotidien Le Monde, concernant les origines du SARS-CoV-2 :
La Chine refuse toute nouvelle enquête internationale.
Dans un document de l’OMS, un chercheur révèle sans fard les tensions, la rétention d’informations et les compromis politiques ayant conduit le rapport de la mission commune entre l’OMS et la Chine à juger « hautement improbable » l’hypothèse d’un accident de laboratoire.
Le temps des compromis diplomatiques est-il encore possible?
Et pourtant,
Allemands, Belges, Californiens, Haïtiens, Turcs, Grecs et bien d’autres ont passé un très mauvais été dans les flammes ou les eaux.
Le temps des compromis urbains entre groupes d’intérêts est-il encore possible?
Et alors?
Le 8 août, en France, Biarritz, Saint-Jean-de-Luz et Bidart ont dû interdire l’accès de leurs plages aux baigneurs, car une semaine plus tôt des surfeurs avaient signalé la présence d’algues dégageant une forte odeur nauséabonde. Certains d’entre eux se plaignaient de maux de gorge, de nez et d’yeux qui coulent, de toux, voire de fièvre, ainsi que d’irritations cutanées.
Le temps du compromis pour protéger l’agriculture française est-il encore souhaitable?
Et alors?
Typhons entraînant des glissements de terrain, disparition de poissons, sécheresse et précipitations records… Longtemps épargnée par les catastrophes, l’île d’Iki au Japon, subit désormais les effets du dérèglement climatique. L’île a subi des glissements de terrain en 2020, à la suite de puissants typhons. Les années précédentes avaient, elles, été marquées par des précipitations record, alternant avec des périodes de sécheresse intense. Et la température moyenne est passée de 15,1 °C à 15,8 °C entre 1978 et 2018.
Le temps de la solidarité internationale est-il enfin à l’ordre du jour?
Et alors?
Apparu à l’aéroport de Nankin au début du mois, auprès de neuf employés chargés de nettoyer la cabine d’un avion en provenance de Russie, le variant delta a rapidement essaimé dans d’autres parties du pays. Une rapidité liée notamment au pic de la saison touristique, avec un usage intensif des transports aériens par les Chinois.
Le temps des compromis pour protéger l’industrie touristique et laisser aux gens la liberté d’aller faire la fête est-il d’actualité?
Démocratie et dictature en temps de crise, comment décider?
Deux ouvrages, l’un se déroulant dans un pays de type occidental mais avec une culture de l’autodiscipline, l’autre dans une dictature stalinienne, font écho à ce que la pandémie du SARS-COVI-19 fait vivre aux gouvernants et citoyens du monde entier depuis presque deux années.
Le premier roman, La submersion du Japon est un roman publié en 1973 (Komatsu Sakyo; Picquier poche, 2000) et va mettre en scène le jeu des décisions à prendre sous la pression des mouvements telluriques de l’écorce terrestre.
Il commence ainsi: Il avait si froid à la saison des pluies qu’on se serait cru en mousson, aussitôt après, une chaleur intense apparut. Soudain on avait invariablement plus de 35 degrés.
Deux personnages, Onodera qui travaille dans l’océanographie et qui se préoccupe d’une île qui a été subitement submergée, et Go qui travaille sur un train express à très grande vitesse à moteur linéaire et qui doit sans cesse refaire ses calculs d’arpentage à cause du sol qui bouge, nous font vivre les négociations difficiles entre experts de toutes disciplines, hauts fonctionnaires qui pensent à préserver l’équilibre des forces satisfaisant chacun, en essayant de rassembler les connaissances de tout le monde et un gouvernement qui cherche à éviter la panique probable si des informations non encore totalement vérifiées fuitent vers les médias.
Un chef de gouvernement courageux prendra de vitesse tout le monde, avec un seul souci, préserver la vie des 110 millions de ses concitoyens de l’époque en négociant leur transfert vers des pays amis avant que l’inéluctable se produise: la submersion de l’archipel du Japon.
Sa devise: L’homme d’État doit être inébranlable face à n’importe quel péril.
Nous assisterons donc à une course effrénée entre la protection de la divulgation des informations catastrophiques, les éruptions volcaniques, séismes, tsunamis et submersions, l’organisation de l’évacuation de tout un peuple, et les négociations d’arbitrage inévitables, politiques, budgétaires, sociales, humaines.
Comment négocier avec un peuple angoissé? Comment lui annoncer la disparition totale de la terre de ses ancêtres et l’émigration forcée vers d’autres continents? Les techniques d’information de crise sont disséquées et l’on apprend entre autres, la technique dite du ballon d’essai.
Le second roman, Ce n’était que la peste, écrit par Ludmila Oulitskaïa, en 1988, et publié chez Gallimard en 2021, nous conte une épidémie de peste jugulée en 1939 par la police de Staline: un biologiste travaillant dans un laboratoire sur des souches de virus se retrouve contaminé sans le savoir et diffuse la peste à travers Moscou; elle sera éradiquée grâce à l’efficacité glaçante d’un régime policier. L’auteur pose une question centrale: quel mal est le plus terrible, celui des cataclysmes naturels et des épidémies ou celui qui est généré par l’homme?
En 1939, alors que des arrestations massives étaient encore en cours, que des milliers de gens ne dormaient pas la nuit et tremblaient dans l’attente d’être embarqués vers la mort ou dans des camps, la peste, la vraie va frapper. La peur de l’arrestation, la terreur d’un régime politique est-elle plus terrible qu’une épidémie?
Des fenêtres d’immeubles sans lumière. Un homme est couché dans le noir. Il entend la porte de l’immeuble claquer en bas. Il se lève et va à la fenêtre…Il écoute. la porte de l’ascenseur claque. On sonne à la porte.
– Va à la porte, dit-il à sa femme, et n’ouvre pas avant trois minutes.
Il va dans son cabinet. La sonnette retentit sans discontinuer. Il sort une enveloppe adressée au camarade Staline du tiroir de son bureau.
La main de Natacha, sa femme, ouvre le verrou:
– Ben dites donc, vous avez le sommeil profond! Il est là votre mari?
– Il est là répond sa femme.
On entend un coup de feu venant du cabinet.
La police vient simplement chercher le mari car il était “cas contact” dirait-on aujourd’hui.
La réponse de Ludmila Oulitskaïa nous interpelle: Le monde change de façon imprévisible, et on voudrait espérer que cette nouvelle épreuve à laquelle est confrontée l’humanité ne va pas nous rendre plus fermés et plus égoïstes mais au contraire, va nous faire prendre conscience que, dans ce monde qui ne fait désormais plus qu’un, s’il y a beaucoup trop d’agressivité, de haine et de cruauté, il n’y a en revanche pas assez de compassion et d’amour.
Yves HALIFA
14 août 2021
Merci cher Yves de ces suggestions littéraires et de tes réflexions plus que troublantes, et d’une lucidité où perce l’amertume.
quelle empathie! Oui, amer de constater l’ignorance cultivée des enseignements de l’histoire et amer de ne voir émerger aucun mouvement de fond populaire et responsable . C’est peut-être l’âge?