Dans un article précédent je vous incitais à réfléchir à l’équilibre de Nash en observant deux marchands de glaces sur une plage.
Je les ai rencontrés et voici ce qu’ils m’ont dit.
Émile et Marcel, avaient installé leurs roulottes sur la même plage.
De nombreux clients potentiels étaient répartis uniformément sur cette plage en ce 15 août particulièrement propice à la consommation de glaces. Ils mettaient, tous deux, en vente des glaces de même qualité, de même variété et au même prix.
Intelligemment, Émile s’était installé sur la partie gauche de la plage tandis que Marcel avait choisi la partie droite.
Ils avaient trouvé ainsi un bon équilibre dans lequel chaque client était satisfait de pouvoir se procurer sans trop de fatigue la glace rafraichissante et gourmande désirée et dégageaient, tous deux, un chiffre d’affaires égal.
Julio, le maître-nageur et secouriste, vint alors serrer la main d’Émile en lui disant :
-
Hé ! tu n’as pas envie de gagner un peu plus que l’autre crétin qui vend aussi des glaces ?
-
Pourquoi ? tu as une idée, répond Émile ?
-
Ben oui, rapproche-toi plus du centre de la plage et tu verras que les clients de l’autre auront moins à se déplacer…
Marcel, voyant son collègue Émile se rapprocher, voit ainsi son territoire réduit, avec moins de clients potentiels.
Pour ne pas voir son chiffre d’affaires diminuer, il n’a qu’une solution, il se rapproche également du centre de la plage pour récupérer sa partie de plage et ainsi rétablir l’équilibre.
Mais le déséquilibre devient alors patent.
Émile se rapproche encore plus du centre, suivi par Marcel, et ainsi de suite jusqu’à ce que les deux marchands se retrouvent au milieu de la plage. L’équilibre est rétabli. Chaque marchand, dégage, comme au début de l’histoire, le même chiffre d’affaires.
-
Mince, se dit Émile, il a fait pareil que moi cet abruti. Si je bouge maintenant je ne peux que réduire mon territoire…
-
Zut alors, se dit Marcel, on ne peut plus bouger ni l’un ni l’autre…
Alors Julio, notre ineffable maitre-nageur sauveteur débarque pour demander à Émile s’il est content du conseil et en profite pour lui demander un cornet vanille-chocolat-pistache, gratuit évidemment…
Et il se fait copieusement engueuler par ce même Émile qui lui dit :
-
Avant, Marcel et moi on gagnait autant d’argent l’un que l’autre, et maintenant c’est toujours le cas, mais avec un chiffre d’affaires plus faible !
-
Pourquoi, demande Julio ?
-
Et bien bouffi ! lui rétorque Émile, en supposant que les clients, pas idiots eux ! se dirigent vers le marchand de glaces le plus proche, il n’est pas certain que ceux qui sont situés à l’autre bout de la plage voudront bouger plus loin pour manger une glace, surtout avec ce cagnard ! Ils préféreront sûrement se passer de glaces.
Alors, Marcel, qui connaît très bien son optimum que son copain John Nash lui a expliqué l’autre soir au bistrot du phare, lui répond :
-
Pourquoi on ne se remet pas là où on était ?
-
Mais oui, répond Julio, mais bien sûr !
Un équilibre de Nash est une situation où :
- Chaque joueur prévoit correctement le choix des autres.
- Chaque joueur maximise son gain, compte tenu de cette prévision.
- L’équilibre de Nash peut donc être considéré comme une « solution » d’un jeu, au sens mathématique (résolution d’un système d’équations), mais pas forcément si on entend par « solution » une prédictionde ce que feront effectivement les joueurs placés dans la situation décrite par le jeu — même en supposant qu’ils sont rationnels.
L’équilibre de Nash est, d’un point de vue mathématique, un point fixe d’un processus où les joueurs, pris successivement, maximisent leur gain après avoir « observé » celui de leur prédécesseur — le « premier », quel qu’il soit, faisant d’abord son choix au hasard, puis quand son tour vient à nouveau, le fait après avoir observé celui du dernier de la « chaîne ». Il y a point fixe, équilibre, quand le « premier » qui choisit dans le processus, quel qu’il soit, puis tous ceux qui le suivent, ne modifie pas son choix au vu du choix fait par son « prédécesseur ».
Nash a démontré que sous certaines conditions — notamment en admettant l’existence de stratégies dites mixtes — tout jeu comportant un nombre fini de joueurs a au moins un point fixe, qu’il appelle « équilibre ».
- Bon, dit Émile à Marcel, allons donc boire une petite bière avant de reprendre nos places initiales.
- Oui répond Julio, comme ça on pourra décider si la nomination de Benjamin Smith en tant que DG d’Air France-KLM est le résultat d’un bon équilibre!
Yves Halifa
17 août 2018
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