Thomas Piketty et ses leçons de négociation
Aujourd’hui les citoyens grondent contre les décisions des gouvernants. Ils ont l’impression d’avoir perdu toute maîtrise de leur avenir en ayant confié les rênes de leurs vies à des dirigeants qui laissent tout faire. Certains veulent recourir à des vrais chefs qu’ils sont prêts à suivre aveuglement pour peu qu’on leur fasse la promesse que sans les autres ce sera mieux et qu’on pourra faire ce que l’on veut.
D’autres disent, réformons-nous, montrons aux allemands que nous aussi on peut devenir allemands, c’est-à dire travailleurs, productifs, gestionnaires et rigoureux. THOMAS PIKETTY dit autre chose.
Oui, répond t-il, on a besoin de retrouver la maîtrise politique des décisions mais à un bon niveau, celui supra national de la zone euro.
D’abord prendre conscience des leçons de l’histoire.
Que faut-il pour reprendre la maîtrise de l’économie et ne pas céder aux populismes?
Les processus de décision autoritaires ont toujours engendré l’humiliation qui a provoqué l’émergence d’émotions punitives.
Tous les traités internationaux du XIXème comme ceux du XXème siècles ont aboutis à des regains de nationalismes et de politiques revanchardes (pour mémoire, le traité de Versailles de 1919 qui humilie l’Allemagne ; le traité du Trianon de 1920 qui rabaisse la Hongrie en dépeçant l’ancien empire austro-hongrois ; les accords Sykes-Picot qui sont des accords secrets signés pour démanteler le Moyen-Orient et que l’on paie encore aujourd’hui).
Plus récent, L’histoire de l’abyssal déficit grec qui a donné naissance à un cycle infernal : on punit, on donne des leçons, on infantilise, on brandit le bâton de l’austérité.
Les erreurs des parents sont mises au débit des enfants.
Mais pourtant dans les années 1950, on a dit, les parents ont fait beaucoup de bêtises, ils ont fait des dettes ; faut-il punir les enfants ? Non, on a décidé d’annuler la dette.
Quand la doctrine te gêne disait Sun Tsu, bouscule la doctrine.
Que s’agit-il de bousculer aujourd’hui ?
- le huis-clos des décisions
- l’automaticité des règles
- le face à face des États
Pour cet économiste les dirigeants européens ont fait des erreurs démocratiques au moins à deux reprises : En 1992, ils ont cru que l’économie pouvait fonctionner sans la politique, que la main invisible du marché pouvait enfin tout réguler grâce à la disparition de l’Union soviétique en mettant en place des règles de fonctionnement automatiques, ainsi qu’une monnaie commune pouvait fonctionner seule en laissant jouer les règles de la concurrence internationale.
En 2008, la crise a montré l’étendue de l’erreur et progressivement les opinions publiques ont réclamé, comme jamais aujourd’hui, un retour à la souveraineté nationale.
Aujourd’hui il est peut-être temps de redonner confiance aux citoyens en modifiant le système de gouvernance de l’Europe et en particulier de la zone euro.
Pour plus de simplicité apparente les gouvernants ont édictés des règles automatiques comme celle de ne pas avoir le droit de dépasser un déficit budgétaire de plus de 3% du PIB : « ça fonctionne par temps calme » mais c’est pénalisant dans la tourmente.
Les dirigeants ont pris l’habitude de négocier État face à État, dans le huis-clos de l’entre soi puis de communiquer aux citoyens ensuite en faisant la pédagogie de leurs décisions.
La pédagogie ne fonctionne plus car il y a un besoin de démocratie.
Qu’est-ce que la démocratie ? D’abord la délibération, puis la négociation.
La confiance dans les gouvernants ne peut se reconquérir qu’à ce prix là.
Que peut-on faire pour reprendre la maîtrise collective des décisions ?
Créer par exemple une assemblée de la zone euro qui remplacerait le conseil des ministres des finances.
Elle comporterait de 100 à 150 membres et serait compétente pour traiter des décisions de la zone euro.
Thomas Piketty reconnait que l’Allemagne “aurait peur d’être mise en minorité, mais elle ne pourra pas dire non trop longtemps à un politique parlementaire” parce qu’elle est fondamentalement une démocratie parlementaire.
Selon lui “si une négociation s’ouvre, alors un compromis sera trouvé”.
Pour arriver à cette assemblée de la zone euro “ça suppose un nouveau traité, mais il ne faut pas que ceux qui ne veulent pas y entrer puissent le bloquer” explique l’économiste qui propose que la France, l’Italie, l’Espagne et Allemagne “qui représentent ensemble 77% de la population et du PIB de la zone euro. se mettent d’accord sur un compromis, rejoints par d’autres pays comme la Belgique, le Portugal la Grèce (…) et s’ils représentent 80 ou 85% ça rentrera en vigueur”.
Il ne s’agit ici que d’un exemple, peut-être utopique. Mais la tendance est là.
Se soumettre à quelques gouvernants jugés représentatifs par un système électoral poussif et de moins en moins représentatif et jugé de moins en moins en moins légitime ?
Se plaindre de ses concitoyens en les divisant entre ceux qui travaillent et ceux qui profitent ?
Rompre avec ceux qui nous gênent et ainsi rompre avec la planète ?
Ou bien accompagner le besoin d’expression, le désir d’agir, par de nouveaux processus de délibération fondés sur la négociation ?
Est-ce que nos concitoyens français et européens choisiront d’acquérir le réflexe du débat ou continueront-ils à conserver ceux du combat et de la fuite?
Yves HALIFA
13 février 2017
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