On vote encore !
Et beaucoup ne savent toujours pas pour quel candidat.
Il est déjà difficile de décider quoi faire de sa vie, alors en plus, on nous demande de choisir une meilleure organisation de sa vie communale, départementale, nationale et aujourd’hui à quelles lois il faudra se soumettre.
Alors on ne sait pas quoi faire, voter ou pas, voter pour quoi, voter pour qui.
Et quel que soit le résultat il y a aura des râleurs…
D’ailleurs il y a ceux qui râleront contre les élus, et il y a ceux qui râleront contre eux-mêmes ; on les reconnaît facilement, ce sont ceux qui regrettent sans cesse : c’était mieux avant ; j’aurais dû faire comme cela ; qu’est ce que je suis con ; mais pourquoi je n’ai pas su choisir…
Et l’abstention risque d’être encore très puissante…
Et les procès en illégitimité risquent d’être encore nombreux…
Voter ou choisir ? ce n’est pas du tout pareil.
Comme le dit si bien le politiste Bertrand Badie, la démocratie ne se résume pas au vote, elle consiste à avoir le choix.
Or, les processus électoraux actuellement en vigueur dans les pays démocratiques ne laissent paradoxalement aucun choix.
Vivons-nous donc en démocratie ?
Le processus dominant en France, et depuis fort longtemps est un scrutin qui favorise la majorité arithmétique. Celle-ci exerce ensuite sa loi d’airain envers la (ou les) minorité(s) qui est qualifiée de perdante.
Vous allez donc gagner ou perdre. Et si vous ne votez pas, vous aurez perdu aussi, puisqu’il s’agira d’une majorité arithmétique qui ne représentera pas vos intérêts.
Qu’est-ce alors une véritable démocratie ?
la pratique du vote supplante la négociation lorsque l’effectif dépasse un certain nombre de personnes.
L’objectif démocratique consiste à construire un ordre social raisonné de manière à ne pas brimer les droits de la minorité.
Comment ne pas assujettir les droits de la minorité aux désirs d’une majorité ?
Prenons un exemple concret
Les élèves de CM2 d’une école ont voté pour leur activité préférée parmi quatre activités hivernales. Le tableau suivant présente les résultats du vote.
Activité | Votes recueillis |
Planche de surf | 109 |
Ski alpin | 147 |
Luge | 23 |
Patin | 66 |
Selon la règle de la majorité, aucune activité ne remporte le vote. Pour remporter le vote, une activité aurait dû recueillir 173 votes ou plus (sur 345).
Ainsi au cours de l’histoire de nombreux chercheurs, en particulier des mathématiciens, comme Nicolas de Condorcet ou Jean-Charles de Borda au XVIIIème siècle, ont proposé des processus de vote moins conflictuels de manière à réduire les tensions entre majorité et minorité.
Le vainqueur de Condorcet
Dans une élection dont les candidats sont A, B et C, dès que le nombre des électeurs est supérieur à deux, A peut-être préféré à B, lui-même préféré à C, lui-même préféré à A.
La méthode Condorcet fait partie de la catégorie des modes de scrutins dits “à préférences multiples ordonnées“: chaque électeur indique sur son bulletin non seulement son choix préféré (celui qu’il indiquerait dans tout scrutin uninominal majoritaire, qu’il soit à un tour ou à deux tours), mais aussi, par ordre décroissant, ses préférences quant aux autres choix qui lui sont proposés.
Le bulletin de vote est donc plus complexe que celui proposé par tout mode de scrutin uninominal majoritaire classique.
Chaque électeur classe les candidats par ordre de préférence. Pour l’emporter, un candidat doit défaire les autres candidats dans une confrontation « un à un ».
On compare les candidats en relevant le nombre de votes obtenus par duel.
Le vainqueur est la personne qui a remporté ses duels contre les autres candidats.
Cette méthode offre l’avantage de nuancer l’interprétation des résultats d’un vote. De plus, elle permet de choisir un candidat bénéficiant généralement d’un haut degré de satisfaction de l’électorat. Toutefois, elle est complexe à mettre en œuvre.
La méthode Borda
dans des pays, certes nettement plus petits, tels que l’archipel de Kiribati, république indépendante de l’océan pacifique, on a choisi la méthode Borda. Ce pays de 110 000 personnes doit en effet voter le 22 juin pour élire son Président.
Chaque électeur classe les candidats par ordre de préférence. S’il y a n candidats, n points sont attribués au 1er choix de chaque électeur, n−1 points au 2e choix, et ainsi de suite pour n’accorder qu’un seul point par vote de dernière position. Le candidat qui obtient le plus grand nombre de points est vainqueur.
Cette méthode offre l’avantage de nuancer l’interprétation des résultats d’un vote. De plus, elle permet de choisir un candidat bénéficiant généralement d’un haut degré de satisfaction de l’électorat. Toutefois, là aussi, elle est complexe à mettre en œuvre.
Dans tous les cas il s’agit de nuancer chaque choix en « rajoutant de l’information » ; c’est aux USA, le vote dit par approbation : les citoyens cochent sur un bulletin de vote les noms des candidats qu’ils approuvent, et celui qui cumule le plus de soutiens est alors déclaré vainqueur. Mais que se cache-t-il derrière cette approbation ?
- Un soutien massif ?
- Un choix par défaut ?
- Un vote stratégique ?
D’autres systèmes existent, tels le vote par note, le vote avec mention qualitative (très bien, passable…)
la démocratie rationnelle
Dans un article très développé, publié dans le supplément du quotidien, Le Monde (Sciences & Médecine, 18 mai 2022), Yann Chavance compare les différents modes de scrutin expérimentés par différents laboratoires de recherche et fait apparaître une surprise ébouriffante : les présidents élus de la cinquième république ne seraient pas les véritables vainqueurs !
En effet, si l’on avait appliqué, par exemple en 2007, la règle dite du «vainqueur de Condorcet» c’est François Bayrou, un centriste, qui aurait été élu…
Le scrutin uninominal majoritaire à deux tours pourrait faire arriver seulement en troisième place un candidat qui pourtant battrait en duel les deux qualifiés du second tour.
Les chercheurs ont ainsi fait d’autres découvertes surprenantes :
- plus on propose au citoyen des choix qualitatifs, plus le vote blanc se dissout.
- Le scrutin présidentiel 2022 montre relativement peu de différences entre le type de vote en vigueur et les systèmes alternatifs :
Vainqueur : Emmanuel Macron
Second : Jean-Luc Mélenchon
Troisième : Jean Lassalle !
Septième : Marine Le Pen!!!
A ce point de réflexion, on peut donc être perplexes et se tourner vers la référence ultime, celle de l’Antiquité, berceau de la démocratie.
Quels étaient donc les modes d’expression civique de l’Antiquité, à Athènes, à Rome, dans l’Empire romain et en Gaule ? Les dossiers de l’archéologie répondent à cette question.
Le tirage au sort était omniprésent dans la démocratie athénienne, les Romains votaient beaucoup dans leur République dirigée par des aristocrates,
Les découvertes archéologiques récentes attestent ainsi de lieux de réunion politique, et ont mis à jour les procédures de vote des peuples gaulois.
L’espace civique a été organisé et découpé en espaces internes permettant à la citoyenneté de ses habitants de s’exercer. Il y avait la Ville et la Campagne ; mais aussi les tribus en tant que premier groupe humain au sein desquelles on élisait des délégués.
Par exemple, le territoire romain était divisé en 35 unités géographiques, qui se répartissaient en 4 tribus urbaines comprenant la population vivant dans la ville de Rome et 31 tribus rurales rassemblant la population vivant dans l’ager Romanus.
Chaque tribu était subdivisée en dix curies. Chaque curie avait à sa tête un curio qui présidait ses réunions.
Les citoyens romains, ainsi répartis dans leur tribu, étaient convoqués au sein de comices tributes pour élire les magistrats inférieurs (non dotés de l’imperium) qu’étaient les questeurs, les édiles et les tribuns de la plèbe. Ils étaient également convoqués dans ces mêmes assemblées pour voter l’essentiel de la législation romaine.
La législation militaire ainsi que les élections aux magistratures supérieures faisaient l’objet d’une autre réunion politique du peuple : les comices centuriates au sein desquels le peuple n’était plus réparti selon un critère territorial mais de fortune personnelle, le census, lui aussi défini au moment des opérations de recensement. Les citoyens romains étaient répartis en 5 classes censitaires, elles-mêmes subdivisées en centuries, qui servaient aux levées militaires ainsi qu’à l’exercice du droit de vote.
Conclusion
Donc voter c’est frustrant, ne pas voter c’est être déçu.
Choisissez-donc entre frustration et déception mais arrêtez de râler !
L’appauvrissement du débat démocratique, les thèmes de discussion, les personnages censés représenter les citoyens, les communautés qui s’agrègent et se dissolvent, voire se combattent et se haïssent, menacent la grande communauté de vie territoriale qui est la nôtre.
les citoyens confondent tous les pouvoirs, et ne savent plus dire à quoi sert un député…
Et ils sont appelés à voter pour leurs représentants. De quoi les investissent-ils?
Voter est une manière de décider quand on est nombreux à devoir s’exprimer ; mais il existe plusieurs façons de s’exprimer, encore faut-il que les votants puissent comprendre les règles du jeu et la mécanique interne des processus qu’on leur propose.
Et pour terminer avec Jean de La Fontaine ,
Les Grenouilles, se lassant
De l’état Démocratique,
Par leurs clameurs firent tant
Que Jupin les soumit au pouvoir Monarchique.
Il leur tomba du Ciel un Roi tout pacifique :
Ce Roi fit toutefois un tel bruit en tombant
Que la gent marécageuse,
Gent fort sotte et fort peureuse,
S’alla cacher sous les eaux,
Dans les joncs, dans les roseaux,
Dans les trous du marécage,
Sans oser de longtemps regarder au visage
Celui qu’elles croyaient être un géant nouveau ;
Or c’était un Soliveau,
De qui la gravité fit peur à la première
Qui de le voir s’aventurant
Osa bien quitter sa tanière.
Elle approcha, mais en tremblant.
Une autre la suivit, une autre en fit autant,
Il en vint une fourmilière ;
Et leur troupe à la fin se rendit familière
Jusqu’à sauter sur l’épaule du Roi.
Le bon Sire le souffre, et se tient toujours coi.
Jupin en a bientôt la cervelle rompue.
Donnez-nous, dit ce peuple, un Roi qui se remue.
Le Monarque des Dieux leur envoie une Grue,
Qui les croque, qui les tue,
Qui les gobe à son plaisir,
Et Grenouilles de se plaindre ;
Et Jupin de leur dire : Eh quoi ! votre désir
A ses lois croit-il nous astreindre ?
Vous avez dû premièrement
Garder votre Gouvernement.
Yves HALIFA juin 2022
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