Mon nez me servait de clairon et mes joues de tambour,
mais surtout je parlais trois langues, l’américain, le base-ball et le poker.
1920: Cet automne là, un M.W.G. Harding (Ohio) fut élu président des États-Unis.
2017: Ce mois de janvier, un D. J. Trump est intronisé président des États-Unis.
1922: Babbitt, énorme succès littéraire, vaudra en 1930 à son auteur, Sinclair Lewis, le prix Nobel de littérature.
Paul Morand décrit ce personnage comme un Yankee standard, avec son âme et ses préjugés taylorisés. Quand on appelle le bonheur, c’est le confort qui répond. Il symbolise l’enrichissement rapide, les fortunes champignons, la spéculation.
Et si ce personnage de fiction, représentant type de la classe moyenne américaine, rencontrait Donald John Trump aujourd’hui partageraient-ils le même langage ?
Ce personnage, Babbitt, dormait au plus profond du Middle-west, Trump l’a réveillé.
En juxtaposant les réflexions de l’un, piochées avec exactitude dans le roman, et les remarques de l’autre, glanées dans la presse, on peut constater une proximité dramatique.
Proximité des conceptions économiques, sociales et culturelles ; est-ce le reflet d’une classe moyenne émergente en 1922, sûre d’elle, arrogante et pétrie de certitudes et, de cette même classe, sur la défensive, voulant se protéger du monde presque cent ans plus tard?
Tout y passe, le pouvoir des hommes, la faiblesse des femmes, les minorités raciales, la conception des syndicats…
Les extraits de Babbitt sont en bleu, ceux de Trump sont rouge.[1]
Babbitt avait fait une excellente campagne. Il ne troublait pas ses auditeurs par d’absurdes subtilités : son candidat local représentait le travail honnête, l’adversaire, la paresse pleurnicharde.
Avec ses épaules larges et sa voix sonore, c’était évidemment un brave type, et, chose si rare, il aimait vraiment ses semblables-et même les ouvriers les plus modestes.
Pénétrant dans l’immeuble de l’Athletic Club à la rencontre de Donald Trump avec en bas un portique avec d’énormes colonnes en pierre de taille il vit, conversant, les seigneurs de la cité : barons des assurances et du droit, des engrais et des pneumatiques promulguant la loi ; ils annoncent que la journée est chaude pour une journée d’automne, que les salaires sont trop élevés et le taux des hypothèques trop bas, que Babe Ruth[2] est un chic type.
Plantés en arrière sur les talons, les mains dans les poches de pantalon, ils exposent leurs vues avec la profondeur bruyante du mâle bien portant qui répète une banalité usée jusqu’à la corde sur une question dont il ne connaît pas le premier mot.
Le hall d’entrée est gothique, les toilettes Empire romain, la salle de café Mission espagnole et le cabinet de lecture Chippendale chinois, la salle à manger a des vitraux Tudor et un plafond ogival, une galerie pour les musiciens sans musiciens.
Bonjour Monsieur le président.
– Je m’appelle George F. Babbitt et j’ai 46 ans, Je crois qu’avant de vous présenter à la candidature suprême de ce magnifique pays vous avez fait le même métier que moi, c’est à dire realtor, real estate agent?
– C’est exact, j’ai d’ailleurs fait fortune en ne faisant rien de spécial, ni du beurre, ni des chaussures, ni des vers, mais j’étais habile à vendre des maisons à des prix plus élevés que les gens ne pouvaient y mettre.
Vous avez eu affaire à toutes sorte de personnes ?
– Comme vous probablement, parfois j’avais affaire à des gens qui n’étaient jamais montés dans une voiture, n’avaient jamais vus une baignoire, jamais lu autre chose que la Bible et croyaient que la terre était plate, que les anglais étaient les dix tribus perdues d’Israël et les Etats-Unis une démocratie.
Ma puissance était d’autant plus grande que je n’étais retenu par aucun scrupule, ni par le vice, ni par la vertu des plus anciennes traditions puritaines.
Et quelles langues fallait-il parler pour se faire comprendre ?
– Mon nez me servait de clairon et mes joues de tambour, mais surtout je parlais trois langues, l’américain, le base-ball et le poker.
Et vous avez eu des enfants ?
– Oui, mais aujourd’hui je ne fais confiance qu’à mon gendre qui est un type remarquable.
– Je vais vous dire pourquoi ; dès qu’il a rencontré ma fille, je lui ai dit : il faut que tu étudies Shakespeare et les autres. C’est parce qu’on l’exige pour l’entrée à l’université, et voilà la seule raison.
Vous ne parlez pas de votre fille ?
– Et bien parce que c’est une femme et les femmes il faut s’en méfier. Voilà le travers des femmes, voilà pourquoi elles ne font pas des chefs de haute valeur : elles n’ont pas le sens de la diplomatie. Certes il faut des nichons dans les assemblées.
Mais vous savez vous entourer de compétences, d’experts ?
– Je suis excédé de la façon dont ces médecins, professeurs et prêcheurs se donnent des airs parce qu’ils sont des « professionnels ». Il faut à un bon agent immobilier plus de connaissances et de finesse que n’en a aucun d’eux.
– D’ailleurs j’ai nommé Jason Greenblatt, représentant spécial pour les négociations internationales.
Il n’a aucune compétence diplomatique. C’est un spécialiste des contrats immobiliers.
J’ai aussi des mecs noirs qui comptent mon argent… je déteste ça.
Les seuls comptables que je veux, ce sont des petits gars qui portent la kippa tous les jours.[3]
Malgré tout, vous avez été élu, contre toute attente, grâce à votre capacité à comprendre la majorité des américains ?
– Ce qui est drôle, c’est que je ne m’entends pas avec les gens riches. Je m’entends mieux avec la classe moyenne ou les pauvres qu’avec les riches.
Vous avez eu du mal avec votre concurrente démocrate ?
– C’était facile, il est très difficile de s’intéresser à une femme qui a les seins plats. Et j’ai dit au peuple, si Hillary Clinton ne peut satisfaire son mari, comment peut-elle satisfaire le pays ?
On retrouve encore chez vous une certaine vision des femmes ?
– Je suis automatiquement attiré par les belles femmes… Je les embrasse tout de suite, comme un aimant. Je les embrasse, je n’attends même pas. Et quand tu es une star, elles te laissent faire. Tu peux les attraper par la ch…, tu fais tout ce que tu veux.[4]
Pour gouverner vous allez donc vous appuyer plutôt sur des hommes ?
– Oui, certainement. C’est ici, au foyer des hommes virils, des femmes vraiment femmes et des enfants bien doués que vous trouvez la plus grande proportion de braves gens.
Voilà la nouvelle génération : des gaillards qui ont du poil sur la poitrine, le sourire dans les yeux et des machines à calculer dans leur bureau. Pas de fanfaronnades, mais nous avons bonne opinion de nous-mêmes, et si nous ne vous plaisons pas, ouvrez l’œil… Il est plus prudent de vous mettre à l’abri avant que le cyclone balaye la ville.
Vous allez avoir des ennemis avec vos déclarations et vos tweets; en particulier avec le monde de la culture?
– C’est obligatoire, J’ai toujours eu le sentiment qu’une partie de l’art moderne est une escroquerie et que les peintres qui ont le plus de succès sont souvent meilleurs vendeurs et promoteurs qu’artistes.
Et les syndicats, qu’en pensez-vous ?
– Un bon syndicat a du bon en ce qu’il fait barrière aux syndicats radicaux qui détruiraient la propriété. Néanmoins, personne ne devrait être forcé de s’affilier à un syndicat.
En somme, soit dit entre nous, aucun syndicat ne devrait être autorisé.
Il y a aussi les minorités ethniques qui vous posent problème ?
– Le nègre d’autrefois était un bon vieux type, il savait se tenir à sa place, mais ces jeunes seigneurs-là ne veulent pas être des garçons de restaurant ou cueilleur de coton… Oh non, il faut qu’ils soient avocats, professeurs, ou dieu sait quoi.
Vous avez promis que vous fermerez les frontières pour protéger les américains ?
– Une autre chose à faire, c’est de fermer le pays à tous ces maudits étrangers. Quand nous aurons assimilé les étrangers que nous avons ici actuellement, que nous leur aurons appris les principes de l’américanisme et que nous aurons fait d’eux des gens normaux, alors peut-être en laisserons-nous entrer encore quelques-uns.
Comptez-vous vraiment construire un mur à la frontière mexicaine ?
– Pour certaines zones, je voudrais des clôtures, pour d’autres un mur est plus approprié.
– Je suis très bon pour tout ce qui concerne la construction.
En conclusion, peut-on dire que vous êtes le porte-parole du Citoyen Idéal ?
– Notre Citoyen Idéal, je me le représente avant tout plus affairé qu’un chien de chasse, ne perdant pas un temps précieux à rêvasser ou à fréquenter les thés et réceptions mondaines, ou à se mêler de choses qui ne le regardent pas, mais en mettant toute son ardeur à son magasin, sa profession ou son art.
A cet instant précis, les deux interlocuteurs se levèrent pour une accolade, la nuit était tombée sur l’Amérique, un afro-américain élégant et de haute taille pénétra dans le salon et les interpella:
“Nous devons nous assurer que les lois anti-discriminations soient respectées… mais cela ne suffira pas. Les coeurs aussi doivent changer”.
Un dernier mot
La question reste posée : peut-on négocier raisonnablement avec des crétins ?
Yes we can !
Mais il faut d’abord changer les cœurs en parlant avec eux.
11 janvier 2017
Yves HALIFA
[1] Babbitt, de Sinclair Lewis, Stock, Le Livre de Poche, édition 04 -août 2016
Dans la tête de Donald Trump, Anne Toulouse, Stock septembre 2016–
http://www.editions-stock.fr/dans-la-tete-de-donald-trump-9782234081949
[2] Le plus grand joueur de base-ball des années 1920.
[3] D’après John O’Donell, ex-employé de la Trump Organization.)
[4] http://www.elle.fr/Societe/News/Les-10-phrases-les-plus-sexistes-de-Donald-Trump-3324538
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