Un été avec Balzac avant un automne avec Macron pourra peut-être nous faire réfléchir sur les résonances entre les acteurs des années 1830 et ceux des années 2017-2018.
Honoré de Balzac vécu en son temps la Comédie Humaine comme il la conta. Avec passion, lucidité, aveuglement, intelligence et naïveté.
Il fut confronté à des négociations personnelles, la plupart du temps échouées, toujours analysées avec clairvoyance, cynisme, révolte et résignation.
Des négociations amoureuses multiples il en conta plusieurs sans écrire un seul mot sur la sienne, l’aventure de sa vie avec L’Étrangère, Madame Hanska.
Il vécu également des négociations financières, en tant qu’entrepreneur (imprimeur), homme d’affaires (les Chemins de fer du Nord), des négociations particulièrement difficiles, avec le fisc; des négociations douloureuses, avec les élites médiatiques et littéraires de son époque (échec par deux fois à l’Académie Française)…
De toutes ses négociations personnelles, chaque personnage de son oeuvre majeure, la Comédie Humaine, en est l’écho.
Ce seront ses personnages qui nous interpelleront, ceux du Père Goriot, des Illusions perdues, de Splendeurs et misères des courtisanes, de La Maison Nucingen, et de tant d’autres.
Sa vie et son oeuvre expriment le bouillonnement d’une époque, et surtout l’effervescence du bouleversement d’une société qui, de 1815 à 1848, aura éliminé le romantisme guerrier de l’Empire, restauré la Légitimité royaliste en tentant de la verrouiller idéologiquement, puis deux révolutions bienveillantes et pragmatiques pour les propriétaires issus de la Grande Révolution, celle de 1830 puis celle de 1848 qui stimuleront l’essor d’une nouvelle économie et d’un capitalisme financier débridé.
Le terrible creusement des inégalités aboutira en 1870 à la Commune de Paris qui inspirera Victor Hugo, ami de Balzac.
trois épisodes vous seront proposés:
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les types de personnages qui hantent son oeuvre et qui pourraient surgir à nouveau.
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les grandes arnaques financières, préludes à celles que nous vivons et allons peut-être subir.
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l’implication personnelle de Balzac dans l’imbrication de sa vie amoureuse et ses besoins financiers.
Première partie
Qu’est ce que la vie et l’oeuvre de Balzac nous disent de notre époque?
Balzac relève entre autres types dominants de sa société : les corrupteurs, les corrompus, les cormorans et les loups-cerviers.
Interrogeons-nous pour savoir s’ils n’ont pas disparus?
Les corrupteurs et les corrompus, ont-ils baissé les bras ?
Les loups-cerviers, sont-ils déjà à l’œuvre ?
les cormoran,s se répandent-ils sur nos écrans?
D’abord quelques mots sur les loups-cerviers :
Ce sont des sortes de lynx, animaux solitaires qui chassent la nuit. Leur territoire, dont la superficie varie de 20 à 300 km², peut recouvrir celui de plusieurs femelles. À l’instar d’autres félins, ils le marquent avec des griffures, leur urine et leurs fèces. En journée, ils se reposent dans des caches.
Le loup-cervier désigne, chez Balzac, le plus souvent la Haute Banque et ses banquiers, quelque fois les prédateurs commerciaux et industriels. Les petits prédateurs sont nommés caissiers.
Puis sur les cormorans :
Le plumage du cormoran est partiellement perméable, propriété qui lui permet de dépenser moins d’énergie pour plonger.
En surface, il nage avec le corps très enfoncé, de sorte que, de loin, on ne voit dépasser que son cou. Très à l’aise sous l’eau, il peut nager en apnée jusqu’à une quarantaine de mètres de profondeur pendant plus de deux minutes. Il se déplace sous l’eau avec vélocité afin de capturer ses proies.
Il s’agit, chez Balzac, principalement des journalistes, éditorialistes, éditeurs et critiques littéraires.
Prenons quelques exemples de la Comédie Humaine transposés à notre époque.
Politique, Banque, Grandes Écoles, Journalisme, Morale publique, Entreprise, écoutons Balzac et surtout ses personnages[1], vivre et commenter les années de la Restauration et de la Monarchie de Juillet en écho à ce changement politique d’aujourd’hui.
La politique :
Les circonstances sont variables, les principes sont fixes. Les principes sont le pivot sur lequel marchent les aiguilles du baromètre politique.
Il a, je suis sûr, tiré à pile ou face pour la Gauche ou la Droite ; mais il va maintenant choisir.
De qui donc parle-t-il ?
La banque :
le banquier est un conquérant qui sacrifie des masses pour arriver à des résultats cachés, ses soldats sont les intérêts particuliers…
La stupidité de l’homme d’argent, quoique devenue quasi proverbiale, n’est cependant que relative… Un banquier s’habitue à combiner les affaires, à les étudier, à faire mouvoir les intérêts, comme un vaudevilliste se dresse à combiner des situations, à étudier des sujets, à faire mouvoir des personnages.
La plupart de ces hommes sont si contigus à la Politique, qu’ils finissent par s’en mêler, et leurs fortunes y succombent.
De qui parle-t-il, encore ?
Ancienne et nouvelle économie confondues :
Notre temps ne vaut pas mieux que nous ! nous vivons à une époque d’avidité où l’on ne s’inquiète pas de la valeur de la chose, si l’on peut y gagner en la repassant au voisin ; et, on la repasse au voisin parce que l’avidité de l’Actionnaire, qui croit à un gain, est égale à celle du Fondateur qui le lui propose.
Il résulte seulement de ceci une vérité pécuniaire que je n’ai vue écrite nulle part…
– Le débiteur est plus fort que le créancier.
– Les lois sont des toiles d’araignées à travers lesquelles passent les grosses mouches et où restent les petites.
Qui sont donc les grosses mouches d’aujourd’hui ?
Le secret des grandes fortunes sans cause apparente est un crime oublié, parce qu’il a été proprement fait.
Quelles sont celles d’aujourd’hui ?
Et les lois ? les règlements ? les normes ? les contraintes ?
Si j’ai encore un conseil à vous donner, c’est de ne pas plus tenir à vos opinions qu’à vos paroles. Quand on vous les demandera, vendez-les.
Il n’y a pas de principes, il n’y a que des événements ; il n’y a pas de lois, il n’y a que des circonstances : l’homme supérieur épouse les événements et les circonstances pour les conduire.
L’ascenseur social ?
Savez-vous comment on fait son chemin ici ?
Par l’éclat du génie ou par l’adresse de la corruption. Ainsi, la corruption est l’arme de la médiocrité qui abonde…
Les médias :
C’était quatre des plus hardis cormorans éclos dans l’écume qui couronne les flots incessamment renouvelés de la génération présente ; aimables garçons dont l’existence est problématique, à qui l’on ne connaît ni rentes et domaines, et qui vivent bien.
Braves à fumer leur cigare sur un tonneau de poudre, plus moqueurs que les petits journaux, moqueurs à se moquer d’eux-mêmes ; perspicaces et incrédules, fureteurs d’affaires, avides et prodigues, envieux d’autrui, mais contents d’eux-mêmes ; profonds politiques par saillies, analysant tout, devinant tout…
Sur quelle chaîne de télé ?
Encore les médias et les fake news !
Le journal, dit Lousteau, tient pour vrai tout ce qui est probable. Nous partons de là.
En littérature, chaque idée a son envers et son endroit ; personne ne peut prendre sur lui d’affirmer quel est l’envers. Tout est bilatéral dans le domaine de la pensée. Les idées sont binaires. Janus est le mythe de la critique et du génie. Il n’y a que Dieu de triangulaire ! Rousseau, dans la Nouvelle Héloïse, a écrit une lettre pour et contre le duel…
De gauche et de droite ?
L’École et ses élites :
Le gouvernement, lui, lève sur les jeunes intelligences, entre dix-huit et vingt ans, une conscription de talents précoces ; il use par un travail prématuré de grands cerveaux qu’il convoque afin de les trier sur le volet comme les jardiniers font de leurs graines. Il dresse à ce métier des jurés peseurs de talents qui essaient les cervelles comme on essaie l’or à la Monnaie ; Puis, sur les cinq cents têtes chauffées à l’espérance que la population la plus avancée lui donne annuellement, il en accepte le tiers, le met dans de grands sacs appelées ses Écoles, et l’y remue pendant trois ans. Quoique chacune de ces greffes représente d’énormes capitaux, il en fait pour ainsi dire des caissiers…
Qui sont les grands caissiers de notre temps ?
Les leaders :
Enfin il, (le gouvernement), leur assure tout ce qu’il y a de plus élevé dans les grades subalternes. Puis quand ces hommes d’élite, engraissés de mathématiques et bourrés de science, ont atteint l’âge de cinquante ans, il leur procure en récompense de leurs services le troisième étage, la femme accompagnée d’enfants, et toutes les douceurs de la médiocrité. Que de ce Peuple-Dupe il s’en échappe cinq à six hommes de génie qui gravissent les sommités sociales, n’est-ce pas un miracle?
Que les génies d’aujourd’hui lèvent la main !
Le politiquement correct :
les passions sont extrêmement rares. Dans cette époque il s’est élevé tout autant de barricades dans les mœurs que dans les rues ! En vérité, mes frères, je vous le dis, l’improper nous gagne !
Improper? aujourd’hui nous dirions inapproprié ?
La bienveillance et le pragmatisme :
Mais je vous vois entrant dans le monde littéraire et journaliste avec des illusions. Vous croyez aux amis. Nous sommes tous des amis ou ennemis selon les circonstances.
Vous vous apercevrez avant peu que vous n’obtiendrez rien par les beaux sentiments. Si vous êtes bon, faites-vous méchant. Soyez hargneux par calcul. Si personne ne vous a dit cette loi suprême, je vous la confie et je ne vous aurai pas fait une médiocre confidence.
Entre être soi-même et jouer une rôle, jouons donc la Comédie humaine.
La morale, les promesses et les engagements :
Parlez-moi morale ?
En France donc, la loi politique aussi bien que la loi morale, tous et chacun ont démenti le début au point d’arrivée, leurs opinions par la conduite, ou la conduite par les opinions. Il n’y a pas eu de logique, ni dans le gouvernement, ni chez les particuliers. Aussi n’avez-vous plus de morale. Aujourd’hui, chez vous, le succès est la raison suprême de toutes les actions, quelles qu’elles soient. Le fait n’est donc plus rien en lui-même, il est tout entier dans l’idée que les autres s’en forment.De là, jeune homme, un second précepte : ayez de beaux dehors ! cachez l’envers de votre vie, et présentez un endroit très brillant.
Et une loi de la moralisation de la vie publique! Et une!
Les uns descendent d’Abel, les autres de Caïn… Moi je suis un sang mêlé: Caïn pour mes ennemis, Abel pour mes amis, et malheur à qui réveille Caïn !…
Pragmatisme et bienveillance avez-vous dit?
Et l’égalité homme-femme? Il en parle Balzac?
Et bien non; il est plutôt lui-même prédateur en ce domaine et analyse tellement bien les ressorts de le femme (la PHÂME, écrit-il…).
Il est lui-même très amoureux, mais d’une telle discrétion en ce qui le concerne qu’il faudra attendre, Octave Mirbeau, auteur et écrivain de la fin du XIXème siècle pour décrire dans des chapitres longtemps censurés, réédités sous le titre : La Mort de Balzac[2], le contrepoint de l’œuvre majeure de Balzac, la Comédie Humaine.
L’échec de sa relation amoureuse nous intéressera dans une troisième partie à paraître dans quelques jours.
Balzac fut dévoré par les loups-cerviers, envié et haï par les cormorans, mais admiré par la postérité.
Un dernier conseil de négociation pour finir l’été avec Balzac
En affaires, comme en politique, comme en amour, ne suivez surtout pas ce conseil de la Comédie humaine :
Il n’y a pas de principes, il n’y a que des événements ; il n’y a pas de lois, il n’y a que des circonstances : l’homme supérieur épouse les événements et les circonstances pour les conduire.
Construisez vos valeurs et votre chemin autour de ce qui vous semble bon pour vous et les autres. Et ne vous trompez pas sur vos intérêts.
Et enfin, ni corrupteur, ni corrompu, ni loup-cervier, ni cormoran, devenez un bon négociateur en apprenant d’abord à les identifier.
Et maintenant à nous deux Paris !
Prochainement le second épisode: les grandes arnaques financières
Yves HALIFA
15 août 2017
[1] Ceux du Père Goriot, des Illusions perdues, de Splendeurs et misères des courtisanes, de la Maison Nucingen…
[2] La Mort de Balzac, Octave Mirbeau (auteur, entre autres, du Journal d’une femme de chambre) ; éditions Sillage 2011.
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