Histoire d’une négociation réussie et échouée.
Le verdict populaire est tombé: les électeurs colombiens ont refusé l’accord de paix avec les FARC.
Pourtant tout le monde y avait mis du sien y compris l’ONU avec Ban Ki Moon, le Pape François qui déclarait vouloir se rendre en Colombie une fois l’accord ratifié.
Mais les forces de la punition l’ont emporté de très peu.
Les héros étaient-ils fatigués ?
“Ce que nous signons aujourd’hui est une déclaration du peuple colombien devant le monde entier, qui dit que nous sommes fatigués de la guerre.”
C’est le président Santos, artisan des négociations de paix avec les FARC qui ont durée 4 ans qui a fait cette déclaration à la fois victorieuse et triste.
Tant que les “héros” ne sont pas “fatigués”, tant qu’un camp pense pouvoir l’emporter sur l’autre, la négociation est impossible.
Ce que l’Afrique du sud nous a appris
L’apartheid, la loi sur la propriété de la terre, sur l’habitat séparé et sur la classification de la population est en vigueur depuis 1950.
En 1988, de Klerk devient premier ministre et comprend vite qu’il faut abandonner le préalable que son prédécesseur mettait à toute négociation avec Mandela encore en prison : il abandonne le principe de supériorité de la race blanche sur la race noire.
Mais cela ne suffira pas à ouvrir les négociations car l’ANC et son leader, Nelson Mandela n’acceptent pas de négocier tant que l’équilibre des rapports de force n’est pas rétabli.
Dès lors, les deux partis, celui du pouvoir blanc et celui de la révolte des noirs, cherchent à obtenir le plus de pouvoir pour avoir les meilleures conditions possibles pendant les négociations.[1]
Les négociations vont réellement commencer après le déclenchement de grèves massives et vont durer jusqu’en 1992. La confiance est dissoute face aux violences des parties extrémistes et de la colère qui gronde de tous côtés. Jusqu’à ce que deux courages fusionnent, celui de De Klerk et celui de Mandela qui décident de s’associer pour combattre les ennemis de la paix et pour décider de se projeter dans une nouvelle nation, celle de la nation arc-en-ciel.
Première leçon : pour faire la paix il faut des hommes qui transcendent leur mandat.
Ce que le Rwanda nous a appris
Après le génocide des tutsis par les hutus en 1994, pourquoi fait-on la paix et comment ?
“Parce qu’on n’a pas le choix”. “Parce qu’il faut bien vivre, de fait, une réconciliation s’est mise en place”.
“1994, ça semble loin, mais sur l’échelle de l’histoire c’est vraiment très court.”.[2]
Pour vivre ensemble il a fallu gérer les émotions en construisant des juridictions populaires, appelées Gacaca pour “favoriser un sentiment de justice et de réconciliation”. Les aveux des accusés y sont lus devant la communauté locale, composée des rescapés et des familles de victimes, et débattus, souvent sur les lieux mêmes du crime. La communauté, assistée des juges élus en son sein, décide ainsi du sort des accusés. Ce système, mis en place dès 2001, a permis de juger la majeure partie des exécutants du génocide, ainsi que des cas de pillage, soit plus d’un million et demi de dossiers.
Ce système, basé sur la recherche de la vérité et du pardon, a été rendu possible par l’instauration de libérations conditionnées au passage aux aveux, ayant abouti à 50 000 libérations en 2003 et 2005. Après leur libération, les prisonniers se trouvaient pris en charge au sein de camps de solidarité destinés à favoriser leur réintégration dans le “nouveau Rwanda”.[3]
Seconde leçon : pour faire la paix il faut que les victimes soient reconnues dans leur douleur et que les meurtriers acceptent de reconnaître qu’ils sont la cause de cette douleur.
Ce que l’Irlande nous a appris
«En regardant vers le passé, nous voyons des siècles marqués par le conflit, l’adversité et même la haine au sein des peuples de ces îles. En regardant aujourd’hui vers l’avenir, nous voyons la chance au moins d’échapper à ces lourdes chaînes de l’Histoire.»[4]
Un certain nombre d’éléments contribuèrent à l’élaboration des négociations de paix entre catholiques et protestants après 30 ans de meurtres. Une étape capitale vers la fin du conflit est franchie lorsque l’IRA annonce, en juillet 2005, qu’elle abandonne la lutte armée. Pour en arriver là , la lassitude du conflit, une opinion publique de plus en plus hostile à la violence, une profonde évolution économique et sociale de la République d’Irlande, l’engagement résolu des responsables politiques anglais, irlandais et américains ont été nécessaires.
Mais si l’accord de Belfast, dit “du Vendredi Saint” a été conclu c’est bien parce que deux conditions étaient réunies : une paix relative due au cessez le feu et la participation de presque toutes les parties impliquées dans le conflit.
En juillet 2002, l’IRA encore accusée de multiplier des actes à l’encontre du processus de paix et du cessez-le-feu mise en place en 1997, a présenté pour la première fois en trente ans de conflit « ses sincères excuses et condoléances aux familles des victimes”.
Troisième leçon : pour faire la paix, en plus de la lassitude des acteurs il faut que tout le monde s’en mêle et agisse dans le même sens.
Ce que la Nouvelle-Calédonie nous a appris
À la suite du drame de la grotte d’Ouvéa, résultat des tensions entre Kanaks, population autochtone, et Caldoches, population d’origine coloniale, et à peine nommé Premier ministre, Michel Rocard engage une médiation qui aboutira à la signature des Accords de Matignon.
L’Accord définit pour une période intermédiaire comprise entre quinze et vingt ans l’organisation politique de la Nouvelle-Calédonie et les modalités de son évolution.[5] La grande innovation consista à accepter qu’il est difficile de faire la paix quand on a souffert dans sa chair et que le pardon, a fortiori l’oubli sont impossibles. Mais, que nos enfants pourront le faire, pardonner puis oublier.
Les négociateurs de chaque camp, signataires de l’accord, Jean-Marie Tjibaou pour les kanaks et Jacques Lafleur pour les caldoches, eurent le plus grand mal à convaincre leur électorat : à Nouméa, la majeure partie des électeurs votèrent « non » au référendum qui s’ensuivit, en novembre 1988.
Quatrième leçon : pour faire la paix il faut des camps bien identifiés, rassemblant l’opinion et maîtrisant leurs troupes, mais surtout, il faut du temps générationnel pour que la douleur s’estompe progressivement.
Ce que l’histoire nous apprend
Michel Foucault nous apprend ainsi que le droit a évolué ainsi : l’ordonnance de 1670, en France, régit jusqu’à la Révolution la pratique pénale et hiérarchise selon les délits, les divers châtiments : la mort, la question, les galères, le fouet, l’amende honorable, le bannissement, le blâme, le cachot et les amendes.
À la charnière du XVIIIème et du XIXème siècle, on assiste à une rupture dans la généalogie de la peine : Cesare Beccaria (1738-1794) publie en 1764 son traité, Des délits et des peines, qui se répandra en Europe et sera acclamé par Voltaire, Diderot et d’Alembert. Il souligne la barbarie et l’incohérence des châtiments infligés au corps du condamné.
Le but des châtiments ne peut être dès lors que d’empêcher le coupable de causer de nouveaux dommages à ses concitoyens et de dissuader les autres d’en commettre de semblables. Il faut donc choisir des peines qui, toute proportion gardée, fassent l’impression la plus efficace et la plus durable possible sur l’esprit des hommes, et la moins cruelle sur le corps du coupable.
Les accords de paix en Colombie
Ils stipulent que « Pour les délits atroces, enlèvements, il n’y aura pas d’impunité totale :
- s’ils (leurs auteurs) confessent leurs crimes entièrement et avant d’être inculpés, ils seront privés de liberté jusqu’à 8 ans.
- Si la confession a lieu pendant le procès, 8 ans dans une prison normale.
- S’ils n’avouent pas et perdent leur procès, 20 ans dans les prisons d’État.
L’écrivain colombien Hector Abad Faciolance a écrit juste avant le référendum qui, lui, n’a pas pardonné contrairement à certains ex-otages telle Ingrid Bettancourt:
« Pourquoi je suis heureux et j’applaudis l’accord de paix avec les FARC. »[6]
Il avait prévenu que la paix serait difficile à accepter. Pourquoi ?
Pour plusieurs raisons, dont la vengeance.
Alvaro Uribe, l’ex-président, voulait exterminer la guérilla qui avait tué son père et s’est fait le porte drapeau de toute la classe moyenne qui entre la lassitude devant le conflit et le refus du pardon avait du mal à vivre.
Certains, dont Hector Abad Faciolance, acceptaient une haute dose d’impunité en échange de vérités :
« Les histoires familiales m’ont appris à réfléchi à la souffrance, à la justice et à l’impuissance, à l’humiliation et à la rage, à la vengeance et au pardon. »
Aujourd’hui les partisans du NON aux accords de paix veulent une renégociation pour que les chefs des FARC coupables de crimes de guerre ou contre l’humanité purgent des peines de prison ferme et ne puissent participer à la vie politique.
Cinquième leçon : pour faire la paix il faut savoir construire l’avenir sans pardonner et sans punir.
Yves HALIFA
6 octobre 2016
[1] http://www.irenees.net/bdf_fiche-experience-187_fr.html
[2] http://www.lefigaro.fr/international/2010/08/08/01003-20100808ARTFIG00200-entre-tutsis-et-hutus-le-poids-des-douleurs-enfouies.php
[3] http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/09/13/reconciliation-au-rwanda-une-question-de-generations_1571229_3212.html#hjmirYLODezSDRDK.99
[4] Tony Blair
[5] https://www.cairn.info/revue-negociations-2008-2-page-89.htm
S’affrontaient les partisans du maintien des liens existants avec la métropole, emmenés par le Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR), et ceux qui souhaitaient aller vers l’indépendance, la majorité des Kanak, rassemblés par le Front de libération national Kanak et socialiste (FLNKS). Le 22 avril 1988, lors de l’attaque de la gendarmerie de Fayaoué, dans l’île d’Ouvéa, quatre gendarmes sont tués, vingt-sept sont pris en otage et conduits dans la grotte de Gossanah. Le 5 mai, entre les deux tours de l’élection présidentielle, le GIGN et des commandos militaires donnent l’assaut à la grotte de Gossanah (opération Victor) : deux militaires et dix-neuf militants indépendantistes sont tués.
[6] Voir entretien dans le quotidien Libération du mercredi 28 septembre 2016.
Très intéressante cette remise en perspective historique des grands drames contemporains !
Est-ce qu’ un jour , plus tard, on pourra avoir une analyse distanciée des attentats terroristes actuels ??